À la jointure des beaux-arts et des belles-lettres, et peut-être aussi ancienne qu'eux, la question de l'ekphrasis loge au coeur de l'expérience esthétique. La description de l'oeuvre d'art se révèle en effet très rapidement indiscernable d'une certaine manière, qui en passe elle aussi par un toucher, sinon une touche, l'expérimentation de divers aspects sensibles de la matière mise à l'oeuvre par la chose de l'art. Nous avons souhaité, dans ce numéro de la revue Études françaises, rouvrir cette question à partir du « point de vue » de la déconstruction, et notamment des propositions philosophiques de Jacques Derrida telles qu'elles se donnent à lire dans le recueil de ses écrits sur les arts intitulé Penser à ne pas voir, selon le titre d'une de ses dernières conférences donnée à la Fondation du dessin de Valerio Adami en 2002 et qui condense peut-être l'essentiel de l'approche du philosophe à l'endroit des arts dits visuels, lui qui mettra au foyer de sa réflexion sur le voir la tache aveugle qui en est la condition.
Dès son ouverture avec De la grammatologie- qui eût dit que le rubanvolé de Rousseau préfigurerait le déroulement d'un tel ruban d'écri-ture1? -, l'oeuvre philosophique de Jacques Derrida est impensablesans la littérature. Rarement la réflexion d'un philosophe se sera à cepoint tenue dans la proximité de l'étrange expérience commodémentdésignée par ce vocable (qu'il ne cessera d'ailleurs de distinguer des«belles-lettres», de la «poésie» et surtout de toute définition étroite-ment formaliste), non pour la domestiquer ou l'arraisonner mais pourrépondre à l'appel (et même à l'ordre, comme il l'écrira dans Le mono-linguisme de l'autre) qu'elle lui intimait.