Le livre que vous vous apprêtez à lire raconte la très grande marche d'un tout petit peuple, il refait à la fois le chemin de sa joie et son chemin de croix. Présente aux premières lignes du journal de voyage de Champlain, aujourd'hui aussi familière que mystérieuse, la nation innue vit et survit depuis au moins deux mille ans dans cette partie de l'Amérique du Nord qu'elle a nommée dans sa langue Nitassinan : notre terre.
Au fil des chapitres, vous allez accompagner le jeune anthropologue que j'étais au début des années 1970, arrivé à Ekuanitshit (Mingan). Vous le devinez, ces petites histoires sont prétextes à en raconter de plus grandes. Celles d'un peuple résilient, une société traditionnelle de chasseurs nomades qui s'est maintenue pendant des siècles, une société dont les fondements ont été ébranlés et brisés entre 1850 et 1950, alors que le gouvernement orchestrait la sédentarisation des adultes et l'éducation forcée des enfants. Ce récit commence dans la nuit des temps et se poursuit à travers les siècles, jusqu'aux luttes politiques et culturelles d'aujourd'hui.
- Serge Bouchard
Toujours en quête d'identité, butant et rebondissant sur son mal de vivre, notre société n'a jamais cessé de se surpasser, de vaincre ses complexes et de faire son cinéma. Film après film, elle a tenté de trouver sa juste place dans sa propre histoire.
Tout au long de cet ouvrage, l'anthropologue Serge Bouchard débusque, pour mieux les mettre en relation, les images fortes dans ces productions issues des soixante premières années du cinéma québécois (1940-2000). Il pose un regard attentif sur des oeuvres brodées de nos travers, de nos faiblesses, mais aussi de notre humour, de notre inventivité ; il nous tend un miroir.
Les images que nous sommes est un ouvrage splendide à la mémoire des personnages, des artisans et des histoires qui ont marqué la cinématographie québécoise. Un livre qui nous rappelle à nous-mêmes et témoigne du chemin que nous avons parcouru.
Connaissez-vous Massasoit, le vieux sage de la nation wampanoag, Jean-Baptiste Faribault et Michel Laframboise, ces aventuriers canadiens-français qui ont bâti l'Ouest américain, ou l'oncle Yvan, revenu de la guerre alors que plus personne ne l'attendait, ou la tante Monique de Santa Monica ? Saviez-vous qu'une vieille Honda était douée de parole, qu'une grande tortue sacrée vivait dans la rue Pie-IX, qu'un camion des années 1950 avait des yeux, et que ces yeux pouvaient parfois être tristes ? Voilà quelques-unes des merveilles que l'on découvre ici. Après «C'était au temps des mammouths laineux» (2012), voici de nouveau une trentaine de petits essais écrits avec cet art qui est la marque unique de Serge Bouchard, le timbre même de sa voix : un art qui est à la fois celui de l'anthropologue, nourri par une attention passionnée aux visages et aux récits inépuisables des humains, et celui du poète, confiant dans les pouvoirs révélateurs de l'imagination et du langage.
De sa manière inimitable, sur le ton de la confidence, Serge Bouchard jette un regard sensible et nostalgique sur le chemin parcouru. Son enfance, son métier d'anthropologue, sa fascination pour les cultures autochtones, pour celle des truckers, son amour de l'écriture.
« Quand verrons-nous, me faisait remarquer, l'autre jour, une jeune femme, en passant devant ce superbe édifice qui s'appelle l'université, quand verrons-nous les Canadiennes admises à y suivre les cours destinés à accroître leur instruction et à leur donner la place qui leur revient dans la société? [...] Je rêve mieux encore; je rêve, tout bas, que les générations futures voient un jour, dans ce vingtième siècle qu'on a déjà nommé le Siècle de la femme, qu'elles voient, dis-je, des chaires universitaires occupées par des femmes.» Françoise, La Patrie, 14 octobre 1895
.
«Où va cette femme blanche en traîneau à chiens, par quarante-cinq degrés sous zéro, avec ses deux enfants blottis sous les peaux? Pourquoi parcourt-elle ainsi quatre cents kilomètres dans la taïga? Elle veut simplement atteindre la station de chemin de fer la plus proche afin de gagner Québec, où elle compte revendiquer la création de territoires protégés pour la sauvegarde du castor, question d'assurer la subsistance des Cris. Simplement, oui. »
«Ladite accusée a été déchaussée, mise sur le siège de la question par le tortionnaire et, après avoir été attachée à la manière habituelle avec les brodequins serrés, ladite accusée a dit qu'elle n'a point connaissance de personne et que ce n'est point elle. Après avoir été serrée par le coin, a dit: Je veux mourir. C'est moi et point d'autre personne.» Interrogatoire sous la torture, 21 juin 17
«It's a man's game », écrivait son mari, Leonidas Hubbard, en parlant de l'univers mythique des explorations. Et pourtant c'est elle, Mina, sa femme, la toute belle et élégante Mrs. Hubbard, qui conquit à sa place les grands espaces sauvages dont il avait tant rêvé.
«Elle portait toujours sur elle un petit fragment de quartz qu'elle disait être un morceau de son pays - ce fut son seul héritage, avec les histoires qu'elle avait racontées et quelques dessins. Surtout, elle portait le poids du destin tragique de son peuple. Un peuple malheureux comme les pierres.»
«Mon cher Louis, mon petit-fils du ciel infini des Plaines, croirais-tu que ta vieille mamie, recroquevillée sous ses châles, a autrefois canoté les rapides et chevauché parmi les hardes de bisons, croirais-tu qu'elle a suivi ton grand-père dans ses rêves, ses lubies, ses paradoxes? Mon beau, mon pauvre Louis Riel, fils de ma chère Julie, tu me vois inquiète, si inquiète: qu'adviendra-t-il de tes passions?»
«Licencieuse et déshonnête, disait-on. Une cabaretière, une femme de pendu, imaginez! regardez les registres d'audience de la ville de Montréal! voyez combien de fois elle a paru, comparu, voyez vous-mêmes! Ah! la belle, la très forte Marie Brazeau. Quel bagout, quelle allure! voici une battante qui ne s'avoua jamais battue. Laissez dire. Elle traversera bien l'Histoire.»
.
.
«Quelque part au fond du Nebraska, dans cette Amérique des Mauvaises Terres, une lueur jaune à la fenêtre d'une maison. C'est le Dr Susan qui, chaque nuit, allume une lampe à l'huile pour dire qu'elle est là. Qu'elle veille sur tout un chacun et sur son peuple. La médecine qu'elle pratique tient de la mission: réparer l'irréparable, panser les plaies de l'Histoire.»
«Mère Courage, une parmi des centaines, des millions depuis que le monde est monde. Et pourtant, elle est unique, inoubliable, l'image de cette femme à cheval parmi une brigade d'hommes, une petite femme forte charriant ses enfants contre elle, deux sur la bête épuisée, un en bandoulière, et la route est longue, et l'hiver sévit, et bientôt il faudra manger le cheval. »
«ll lui était si aisé de se fondre dans la nature humaine. Elle passait d'une culture et d'une identité à une autre, bafouant les convenances d'une société cruelle, brisant, pulvérisant les certitudes tranquilles des sectaires et des racistes. L'Histoire a toujours tu le rôle des gens ordinaires, alors même que ce sont eux, souvent, qui en sont les véritables acteurs.»
.
L'idée du présent numéro nous est venue un peu par hasard, au cours d'une discussion où nous venions de constater que les fictions québécoises s'intéressent peu à la représentation des rapports de pouvoir et à ceux qui l'incarnent. Les luttes de classes, les clivages politiques, les relations entre groupes ethniques, la vie des riches et des puissants ne sont pas des thèmes qui attirent d'emblée nos écrivains, nos cinéastes et nos scénaristes. Pourquoi donc? Avons-nous peur du pouvoir?
Durant la seconde moitié du 20e siècle, les régimes communistes ont incarné la principale figure d'altérité pour l'Occident capitaliste et néolibéral. Après la chute de l'URSS, ces régimes ne pouvaient plus jouer ce rôle, et la recherche d'un nouvel Autre s'est donc imposée à la conscience occidentale. Les attentats du 11 septembre 2001 lui ont apporté ce qu'elle recherchait : désormais, le djihad serait le nouveau repoussoir contre lequel l'Occident affirmerait ses valeurs hégémoniques, comme si celles-ci ne pouvaient se soutenir d'elles-mêmes face à un « adversaire » pourtant vaincu d'avance.
Pour nous Québécois, l'Amérique a toujours été une question. Nous sommes d'Amérique, c'est l'évidence, mais nous ne sommes pas, nous n'avons jamais été complètement américains. Nous vivons un peu comme dans un pays d'Europe du Nord : société prospère, politiques sociales généreuses, respect de la diversité, grands espaces, etc. Et, comme dans ces sociétés où il ne se passe jamais rien, nous sommes étrangers aux violences vécues aux États-Unis et dans les pays d'Amérique latine, qu'elles soient le produit d'un conflit racial qui s'éternise, de la guerre contre les narcotrafiquants ou des inégalités sociales criantes. Le dossier de ce numéro, constitué des textes de Vincent Lambert, Mathieu Bélisle, Samuel Archibald et Louise Desjardins, fouille la question : Sommes-nous américains? À quelle Amérique ou à quelle dimension de l'Amérique pouvons-nous nous identifier?
Le développement fulgurant des médias sociaux au cours de la dernière décennie a donné une forme concrète à un phénomène qui existait depuis toujours, mais demeurait pour l'essentiel confiné dans les marges de la vie sociale. Or la rumeur -- puisque c'est de ce phénomène qu'il s'agit -- se présente aujourd'hui comme l'une des formes les plus visibles et les plus envahissantes de la communication, comme un enjeu « sérieux » et décisif, que les individus et les organisations doivent apprendre à gérer comme l'une des composantes essentielles de l'information. Avec les contributions de Mauricio Segura, Georges Privet, Benoît Melançon et Ugo Gilbert Tremblay. À lire hors dossier, entre autres : Geneviève Letarte signe un hommage à Hélène Monette, Michel Biron analyse Ce qu'il reste de moi de Monique Proulx et Isabelle Daunais se livre dans un entretien à propos de son plus récent livre, Le roman sans aventure.
Peintre, illustrateur, anthropologue, dramaturge, romancière: cinq personnalités culturelles du Québec se révèlent à nous par le biais d'un autoportrait inédit.